Le fils errant by Gilles Leroy

Auteur:Gilles Leroy [Leroy, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2023-01-13T16:09:49.877098-05:00 JF
Éditeur: Mercure de France
Publié: 2023-01-06T09:25:33+00:00

Il y avait ce gars que je ne connaissais pas et qui, pendant les trois heures de la cérémonie, s’est occupé de la musique. Soraya l’avait sauvé alors que la prison lui ouvrait grand les bras, disait-il, la voix étranglée de sanglots, et l’avait fait entrer en stage à la Maison des adolescents où il était resté. Il pleurait, reniflait, étalait à deux mains la morve sur sa barbe. Il se montrait plus ému que moi, ça m’a mis mal à l’aise et même indisposé contre lui.

Tout ce temps que le corps brûlait, matrice étroite d’où je viens et d’où le monde entier procédait avec moi, toutes ces heures que les preuves de mon existence se carbonisaient dans les flammes, il y avait cette musique que le jeune homme sauvé de prison avait choisie pour Soraya, il la connaissait bien, ils avaient de l’intimité ensemble, peut-être même avaient-ils dansé sur ces titres qu’il passait en souvenir, Prince et rien que Prince, ta petite maman était totalement fan, comme s’il m’apprenait quelque chose, deux collègues remuaient la tête en rythme et gigotaient sur leur chaise, une fesse après l’autre, difficile de résister mais on n’allait quand même pas se lever et prendre pour dance floor le marbre des morts

dans le sous-sol pourri du pavillon ma mère mettait les haut-parleurs elle me prenait les mains et on se déhanchait on sautillait à qui ira le plus haut pas trop haut non plus, attention aux parpaings du plafond on chaloupait, faisait les clowns, se trémoussait Mais le dos droit, mon homme, la nuque fière Prince et princesse, voilà ce que nous sommes dans les trente mètres carrés sous terre on criait Cream on poussait des grands Kiss et les gros sourdingues au-dessus de nous s’étonnaient que la maison vibre À des heures indues quand aucun train ne passait plus sur les rails.

Avait-elle seulement un lieu à l’esprit ? Soraya n’a jamais dit ce qu’on devait faire de ses cendres, les conserver, les disperser, ni où. C’était à moi de remplir les blancs – à moi d’écrire l’histoire des silences.

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